Folates histoire

date_range 02 Avril 2020

Petite Histoire des Folates et de leur implication dans les Malformations du Tube Neural (MTN)

 

Années 1960-1970 : Les premières hypothèses sur le rôle de la vitamine B9 dans le développement du fœtus datent de 1954 (TURPIN). Mais on peut dater à 1962 la constatation par Goetsch de malformations importantes chez des fœtus exposés à l’aminoptérine, antagoniste[1] de l’acide folique utilisé comme agent abortif. Les arguments se mettent ensuite en place peu à peu, devant la constatation de la survenue de plus de malformations dans les milieux défavorisés. Une étude épidémiologique anglaise (1965) constate un taux de MTN plus élevé dans les milieux socioéconomiques défavorisés, ce qui laisse suspecter un lien entre MTN et carence d’un facteur alimentaire. Par ailleurs on constate des malformations associées chez des femmes exposées : par exemple en 1966, Reynolds prouve que 3 médicaments anticonvulsivants (le phénobarbital, la phénytoïne et le primidone) largement utilisés à cette époque, peuvent causer des déficits en folate et que leur usage pendant la grossesse est associé à des malformations congénitales.

 

HIBBARD et SMITHELLS en 1965 travaillent sur le rôle des folates et démontrent une excrétion basse de dérivés urinaires (FIGLU-test). En 1976 : dosage des folates sanguins bas en cas de MTN. Cette situation sera objet de controverses multiples, certains auteurs confirmant cette relation, d’autres non ; et tous les efforts orientés sur le métabolisme se sont avérés peu fructueux. Le lien était établi, car les méta-analyses vont toujours dans le même sens, mais le mécanisme ou la preuve restaient à apporter. C’est parce qu’ils n’arrivaient pas à avoir des certitudes, que Britanniques et Irlandais ont proposé des études de préventions de récurrence[2] par apport de folates préconceptionels.

 

 

 

Années 1980-1990 : Prévention des récurrences : Devant les difficultés, dès 1980, les Anglo-saxons vont pragmatiquement chercher à savoir s’il existe un bénéfice dans l’apport de vitamine B9 avant la grossesse. SMITHELLS en 1980 et  LAURENCE en 1981 montrent que le risque de récurrence diminue par prise d’acide folique en période pré-conceptionnelle chez les femmes ayant déjà eu un bébé atteint. La conclusion de l’effet bénéfique a été rapide et a permis de se poser la question de la possible prévention pour toutes les grossesses (MILUNSKY A 1989). Ces essais cliniques permettent de conclure qu’une supplémentation en acide folique débutée un mois avant conception et



[1] Dont les actions s'opposent, vont dans des sens opposés.

[2] la récurrence désigne le caractère répétitif d'un phénomène.

poursuivie jusqu’à la fin du troisième mois de grossesse prévient d’une récurrence de MTN chez les femmes à risque.

 

 

 

La question des années 1985-1990 n’est donc pas de comprendre « comment ça marche », mais plutôt comment empêcher la survenue des MTN. Les études se sont alors tournées vers l’ensemble des femmes débutant une grossesse, 95% de cas de MTN survenant dans la descendance de femmes sans antécédent connu.

 

Plusieurs études cas-témoins ont conclu à un effet protecteur. La première étude rétrospective menée à Atlanta de 1968 à 1980 apparie 347 enfants avec MTN  à 2829 témoins (normaux ou autres malformations). Cette étude démontre significativement que la prise de suppléments multi vitaminés influe sur le taux de MTN. Une autre étude évalue chez 23.491 femmes à la 16ème semaine de grossesse leur consommation vitaminique en période périconceptionnelle et les suivent jusqu’à l’accouchement. La prévalence des MTN chez les femmes ayant consommé de l’acide folique a été significativement plus faible (0,9 pour mille) que chez les femmes ayant consommé des compléments vitaminiques sans acide folique (3,5 pour mille); la prise d’acide folique à partir de la 7ème semaine de grossesse ne réduit en rien cette prévalence. Ces études constatent la prévention.

 

Czeizel en Hongrie (Incidence des MTN de 2,8 pour 1000 par an) : en 1984, entreprend une étude prospective ayant inclus des femmes sans antécédent de MTN : 4753 femmes sont sélectionnées en fonction de leur âge (inférieur à 35 ans), de leur absence de grossesse, mais désireuses d’avoir un enfant. Elles sont réparties en deux groupes; 2104 sujets reçoivent un complexe vitaminique contenant 0,8mg d’acide folique, les « témoins » recevant uniquement des oligo-éléments[1]. Aucune MTN n’a été diagnostiquée parmi les grossesses traitées par vitamines; en revanche six cas ont été signalés dans le groupe traité par oligoéléments. De même, la fréquence des malformations congénitales a été plus élevée dans le « groupe oligoéléments » (22,9/1000) que dans le « groupe vitamine » (13,3/1000). L’effet protecteur de l’acide folique étant clairement démontrée, l’étude a été stoppée en 1991.

 

 

Années 1990-1995 : Prévention primaire dans la population générale : en 1991, l’étude du British Medical Research Council Vitamin Study (MRC) est un protocole international multicentrique portait sur 1817 femmes à risque (ayant porté un fœtus avec une anomalie du tube neural). Ces femmes recevaient soit de l’acide folique (4 mg), soit d’autres vitamines dont la vitamine B6 (1 mg), soit les deux, soit un placebo. Dans le groupe ayant reçu de l’acide folique, l’effet protecteur fut de 72%. Cet effet protecteur fut confirmé par les résultats d’un programme du planning familial hongrois (CZEIZEL), obtenus chez 2104 femmes (le plus souvent primipares) qui recevaient 0,8 mg quotidiens d’acide folique avec d’autres vitamines dont les vitamines B6 (2.6 mg) et B12 (4 µg), toujours avant la conception.

 

Le Department of Health du Royaume Uni lance en décembre 1992 sa première campagne de prévention des MTN. Il invite les femmes en âge de procréer et planifiant une grossesse de prendre 0,4mg d’acide folique à partir d’un mois avant la conception jusqu’à la fin du premier trimestre de grossesse. Pour celles qui ont déjà eu une première grossesse avec MTN, il recommande de consulter un centre spécialisé afin de se voir prescrire 4mg d’acide folique par jour et pendant la même période (1997).

 

Les confirmations de la prévention viendront de Chine (BERRY 1999) avec campagne de santé publique a été menée en Chine auprès de femmes enceintes ou non, afin d’évaluer l’efficacité de l’apport de 0,4mg d’acide folique dans 2 régions de Chine : au Nord, où le taux d’ATN est fort, et au Sud, où le taux est l’un des plus faibles du pays. Cette disparité s’explique par des facteurs alimentaires: la région du Sud étant plus tempérée, les cultures de blé y sont prédominantes. Entre 1993 et 1994, parmi les 130.142 mamans ayant pris de l’acide folique, on dénombre 102 cas d’ATN, et 173 cas  parmi les 117 689 mamans non supplémentées sont identifiés. Dans le Nord, le taux d’ATN passe de 4,8à 1/1000 (diminution de 85% du risque) et dans le Sud de 1/1000 à 0,6/1000. L’effet bénéfique de l’acide folique est de nouveau très clair.

 

La plupart des pays ont lancé leurs recommandations de prévention entre 1992 et 2000 (France)

 

 

 

Dans les années 1995, place à la génomique. Certaines mutations de gènes codant pour des molécules impliquées dans l’absorption, le transport, et le métabolisme des folates ont été identifiées.

 

Il a d’abord été mis en évidence des mutations sur le gène codant pour la Méthylènetétrahydrofolate Réductase (MTHFR), notamment la mutation C677T. Elle aboutit à un variant thermolabile de la MTHFR qui est présente chez 5 à 15% de la population canadienne. Elle est associée à un risque plus élevé de spina bifida, à l’état homozygote.

 

Cette enzyme appartient à une chaîne enzymatique dont la finalité est de donner des groupements méthyls nécessaire à la reméthylation de l’homocystéine en méthionine. On comprend alors aisément qu’une mutation de la MTHFR peut à la fois être responsable de MTN et d’hyperhomocystéinémie. Cette association MTN-hyperhomocystéinémie est donc fortuite, ces deux anomalies résultant de la même cause.

 

 

Toutefois, les enfants les plus touchés sont ceux dont les mères porteuses de deux allèles mutés pour la MTHRF ont les taux en folates érythrocytaires les plus bas. Une interaction entre ces facteurs génétiques et l’alimentation sont évoquées et un apport approprié en acide folique compenserait partiellement le risque de MTN dans de telles situations.   Pour autant un dépistage systématique de la mutation C677T n’est pas recommandé dans la mesure où la supplémentation en acide folique ne doit pas être conditionné par ce dépistage.

 

 

Années 2000 : Des polymorphismes[2] des très nombreux gènes de la voie du métabolisme Folate Homocystéine ont été progressivement découverts. Ainsi la Reduced Folate Carrier 1 protein (RFC1), molécule transmembranaire assurant l’internalisation[3] de l’acide folique dans la cellule, peut être le siège d’anomalies. Les études moléculaires et biologiques des gènes de la voie métabolique[4] des folates (cf infra) montrent difficilement (risques relatifs peu importants) un effet protecteur ou délétère[5] de certains polymorphismes du gène MTHFR (KIRKE 2004, CANDITO, 2008).

 

Enfin ROTHENBERG en 2004 découvre l’existence d’Auto-Anticorps anti-récepteurs de l’acide folique, qui seraient bloquant et s’ajouteraient aux modifications du métabolisme pour rendre certaines mères « à risque »…

 

 

 

Conclusion : Les études épidémiologiques, préventives et casuistiques[6] nous ont montré le rôle indéniable de l’acide folique sur des populations à risques ou des populations générales. Par contre au niveau de l’individu, il n’y a pas de méthode permettant d’imputer la part de ce qui revient aux carences, au métabolisme, au génome, et à l’auto-anticorps. Nous sommes donc contraints d’avancer dans cette recherche (qui déborde largement les seules MTN) pour expliquer un jour cette intuition géniale - il y a presque 50 ans - de la responsabilité des folates dans la survenue des MTN. L’avenir est sans doute aux modèles complexes impliquant les gènes des folates et les gènes du développement embryonnaire.



[1] Les oligo-éléments sont des éléments minéraux purs nécessaires à la vie d'un organisme, mais en quantités très faibles. On appelle oligo-éléments les éléments chimiques qui, chez un homme de 70 kilogrammes, représentent une masse de moins de 5 grammes.

[2] Gènes se présentant sous plusieurs formes 

[3] L’intégration 

[4] Concept recouvrant un ensemble de réactions biochimiques liées par un produit ou un substrat

[5] Toxique, dangereux pour la santé

[6] Étude des cas similaires

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